Saturday, May 31, 2008

Une lecture tendancieuse du rapport Bouchard-Taylor











Le journal Le Devoir publie aujourd’hui un texte dans la série Devoir de philo. Il s’intitule “Marcuse, inspirateur de la commission Bouchard-Taylor” et fut écrit par un doctorant de l’UQAM (ce dernier privilégié du journal, curieusement, a tout l'air de publier librement dans Le Devoir ce qu'il veut quand bon lui semble. Un quotidien 'indépendant' est devenu son blogue populaire, pourrait-on dire!).

Le texte laisse perplexe. Il ne satisfait ni aux canons de l’objectivité minimale, ni à ceux de l’apparence d’objectivité. L’auteur refuse d’abord de reconnaître la distinction retenue par les commissaires entre 'interculturalisme' et 'multiculturalisme'. La position de ces derniers n’est pourtant pas obscure (cf. p. 41-42 du sommaire du Rapport):

Souvent évoqué dans des travaux universitaires, l’interculturalisme en tant que politique d’intégration n’a jamais fait l’objet d’une définition complete et officielle de la part de l’État québécois bien que ses principaux elements constitutifs aient été formulés depuis longtemps. Cette lacune devrait être comblée, d’autant plus que le modèle du multiculturalisme canadien ne semble pas bien adapté à la réalité québécoise, et ce, pour quatre raisons :a) l’inquiétude par rapport à la langue n’est pas un facteur important au Canada anglais ; b) l’insécurité du minoritaire n’y est pas présente ; c) il n’existe plus de groupe ethnique majoritaire au Canada (les citoyens d’origine britannique y représentent 34 % de la population, alors que les citoyens d’origine canadienne-française forment au Québec une forte majorité d’environ 77%) ; d) il s’ensuit qu’au Canada anglais, on se préoccupe moins de la préservation d’une tradition culturelle fondatrice que de la cohésion nationale.

De façon générale, toute collectivité a intérêt à maintenir un minimum de cohésion. C’est grâce à celle-ci qu’elle peut se doter d’orientations communes, assurer la participation des citoyens à la délibération publique, créer un sentiment de solidarité nécessaire au fonctionnement d’une société égalitaire, disposer d’une capacité de mobilisation en cas de crise et profiter de l’enrichissement lié à la diversité ethnoculturelle. Pour une petite nation comme le Québec, toujours préoccupée de son avenir comme minorité culturelle, l’intégration représente en outre une condition de son développement, voire de sa survie
.”

Et si cette distinction s'avérait 'dépassée' aux yeux de certains analystes, ces derniers seraient bien vus d'en faire la démonstration autrement qu'en usant de pauvres appels à l'autorité - 'Monsieur X, de la prestigieuse université Y a dit Z'! Pourrait-on faire l'effort de saisir qu'on peut ici (1) bâtir quelques ponts, prudemment, entre ce qu'on appelle des cultures diversifiées (l'approche inter-culturelle) ou là (2) décourager le tracé de ces ponts tout en encourageant la diversité culturelle (l'approche multi-culturelle)? Et pour plus de précisions, comprendre que suivant l'approche inter-culturelle, tous les ponts entre cultures devraient idéalement présenter des profils originaux, adaptés aux rives qu'ils unissent?

Suffit-il de garder cela en mémoire pour craindre que l’auteur ne fasse violence au rapport des commissaires en saupoudrant son propre texte d’exagérations, plus ou moins éhontées. Ainsi les commissaires, inspirés par un « radicalisme idéologique », souhaiteraient un peuple « infiniment tolérant » et « inlassablement ouvert au dialogue ». Ils voudraient au surplus « criminaliser » (le mot est repris plus d’une fois – on pardonnera le juriste de salon) les positions opposées à la leur. Comme si ces commissaires n’avaient pas déjà fait preuve de modération dans l’expression de leurs idées, et de sagesse dans le développement de certains dialogues. Une lecture attentive du rapport, du reste, saurait peut-être calmer les réflexes dirait-on épouvantés de l’auteur.

Poursuivant sa tirade, ce dernier donne à penser - et c’est quelque peu lamentable de la part d'un jeune penseur brillant - que les commissaires se seraient donné pour mission totalitaire de combattre la défense d’une identité nationale perçue comme « une marque de xénophobie ou de racisme » alors que les commissaires ont maintes fois expliqué qu’ils faisaient plutôt face à un malaise résultant d’une certaine peur de l’inconnu. Il y a un monde à découvrir entre ces deux difficultés, me semble-t-il. Souhaitons que plus d’objectivité n’effarouche pas davantage l’intellectuel en herbe. Bref, invitons-le à dialoguer.

Le plus farfelu dans cette affaire, c’est le traitement du journal Le Devoir. Sous l’étiquette de l’objectivité analytique qui devrait accompagner un ‘devoir de philo’, il dissimule curieusement son parti pris pour certains interlocuteurs. Considérons avec humour les tentatives de ce journal de transposer l’énervement d'un de ces interlocuteurs favoris sur la personne de Monsieur Bouchard!