Thursday, March 06, 2008

Le prix Nobel selon Victor-Lévy Beaulieu

Monsieur Victor-Lévy Beaulieu soutient qu’un écrivain québécois ne saurait remporter le prix Nobel de littérature avant que le Québec ne devienne indépendant. C’est à tout le moins ce que l’extrait suivant de l’édition du 2 mars de La Presse donne à penser :

La journaliste :
« Je lui demande si, sans l’indépendance, ce serait possible qu’un écrivain québécois puisse recevoir cet honneur. »

Victor-Lévy Beaulieu :
« Non. Parce que les prix Nobel sont accordés à des pays (sic) qui ne laissent pas le reste du monde indifférent. »

Il s’agit d’une préoccupation maladive, à laquelle je ne trouve pas le remède, mais qu’on examine avec plus d’aise sous un éclairage moins glauque.

La prétention de Monsieur VLB s’accompagne de deux idées douteuses.

La première suggère qu’une langue adopte un pays et qu’un pays adopte une langue (et non pas deux ou plus). Notons qu’il ne s’agit pas d’un fait, mais bel et bien d’une idée. Car dans les faits, sur la surface de cette planète, nombreux sont ceux qui ne se reconnaissent pas dans cet ‘idéal’ unitaire, aux origines strictement européennes. Les habitants de la Chine, de l’Inde et du Nigéria, à titre d’exemple, qui rassemblent près de la moitié de la population mondiale, ne partagent aucune langue commune au sein de leurs frontières politiques respectives. L’Inde reconnaît ainsi 18 langues officielles parmi les centaines en usage sur son territoire. Le mandarin de Pékin, à mille lieux signalétiques du cantonais, s’apparente mal au dialecte préféré à Shanghai, faut-il rappeler. Plus de 500 langues et dialectes sont couramment parlés au Nigéria, l’anglais y demeurant l’instrument d’un cercle minoritaire. Il semble que des populations au lourd héritage historique s’avèrent plus complexes que ne le souhaiterait Monsieur VLB : les habitants de ces pays (mis à part peut-être, dans le cas indien, les partisans du Bharatiya Janata, ce parti rétrograde et ultranationaliste) ne considèrent pas la langue comme l’élément rassembleur central de leur 'culture commune'.

Pour souligner l’évidence, il ne s’ensuit pas que tous y soient unilingues. Grâce aux millions d’individus bilingues et polyglottes, toutes les tours de Babel ne condamnent pas à l’incompréhension. Et l’esprit d’excellence et de rigueur peut faire modèle à cet effet ; les Hollandais s’expriment souvent dans un anglais charmant que le Londonien unilingue anglophone de la rue gagnerait parfois à imiter, ne serait-ce qu’aux fins d’enrichir son vocabulaire. Cette richesse plurielle entache-t-elle de quelque manière la littérature des Hollandais ? La question est aussi saugrenue que l’idée de ne réserver le prix Nobel de littérature qu’aux écrivains de nations qui auraient (délibérément?) fait le choix de l'unilinguisme.

Cela nous conduit à la deuxième idée sous-jacente aux prétentions de Monsieur VLB : une nation privée d’un siège individuel à l’ONU ne serait pas digne d’intérêt ; elle laisserait « le reste du monde indifférent ».

Il s’agit d’une provocation, sauf à présumer que Monsieur VLB n’a jamais eu connaissance des puissants échos du Québec à l’étranger, ce qui est improbable. Cette idée fausse n’en demeure pas moins condamnable pour cette autre raison qu’elle invite les québécois à n’envisager, devant les problèmes du nouveau millénaire, que les solutions des tout derniers siècles. Comment, semble-t-on se demander au Québec, faire davantage rayonner le fait français qui y a pris racine tout en ménageant des rapports de sympathie identitaire avec le reste du Canada ? Plus dramatiquement, comment mieux y asseoir une certaine "souveraineté culturelle" avec les bases d’une forte solidarité pancanadienne en cas de crises - a mari usque ad mare? Les Catalans, nos cousins en quelque sorte, font preuve d’une sagesse rare en de semblables égards parce que, à la différence du Québec par devers le Canada, la Catalogne est effectivement le moteur économique de l’Espagne. En délibérant dans le calme et en ne laissant pas s’envoler les passions sans le guide de la raison, Québécois et Catalans offrent déjà au reste du monde le modèle d’un comportement politique exemplaire à l’amorce d’un siècle qui s’annonce perturbé.

J’invite Monsieur VLB à penser comme un grand homme, tel qu’il se présente, dans la pleine mesure de son intelligence et de son remarquable pouvoir imaginaire. Pour sa bonne fortune, on pourra souligner que la fondation Nobel sanctionne inhabituellement ceux qui pensent autrement. Je l’invite donc à soutenir le projet de constituer, avec les habitants de la Catalogne, du Pays Basque, de la Belgique wallonne et flamande, du Kashmire, de la Corse et des Premières Nations, entre autres, une Assemblée mondiale des nations auto-déterminées dans le but de faire valoir leurs intérêts communs sur la scène mondiale et d’enrichir ainsi plus assurément leurs pouvoirs locaux en matière culturelle. Dans un esprit de dialogue avec les institutions internationales existantes, ce parlement mondial disposerait d’une base permanente ou plurielle et rotative. La promotion et la reconnaissance pacifique de la diversité culturelle y figureraient au premier ordre du jour. Des politiques d’éducation, d’immigration et de recherches comparées, des programmes d’échanges culturels, des prix et forums internationaux seraient au nombre des projets à examiner. Avec un peu de chance, cette initiative se profilerait comme celle de respectables pionniers politiques et l’Histoire – dont Monsieur VLB s’inquiète trop humblement de devenir un ‘débris’ – se chargerait peut-être de nous le rappeler!