Thursday, September 27, 2007

Accommodement raisonnable au Manoir de l'éternité

Dans la foulée des travaux de la Commission Bouchard-Taylor sur les limites raisonnables posées à l’exercice de «droits fondamentaux», il me plaît de faire part d’une expérience vécue cette année à Varanasi (Inde), à l’approche de Noël.

En compagnie de collègues de diverses origines, je résidais alors dans un manoir (Amar Bhawan) détenu par un ingénieur et chef religieux hindou, Verr Badhra Mishra, dit Mahantji et rendu célèbre par ses efforts de dépollution du Gange. Mahantji se trouve par ailleurs à la tête du grand temple de Sankat Mochan, où les rituels hindous sont reconduits depuis maintes décennies.

Avant de franchir les portes d’Amar Bhawan – ce «Manoir de l’éternité» – tout candidat à la résidence est mis au parfum des règles brahmaniques imposées à qui souhaite y vivre. Les viandes, les œufs, les drogues, l’alcool, la cigarette, la musique non enregistrée, de même que certains comportements à l’égard des indiennes y font l’objet d’une régulation stricte. Nombreux sont les visiteurs qui rebroussent chemin et optent pour un lieu exempté de telles prohibitions. D’autres, comme moi, ont fait le choix de se plier à l’ensemble de ces règles, dans le respect de la tradition brahmanique hindoue.

Après quelques mois agréablement vécus à Amar Bhawan, le «temps des Fêtes» se profilait à l’horizon de décembre pour une majorité de résidents. Deux options s’offraient à nous, qui faisions le souhait d’ajouter de l’eau-de-vie au menu de nos festivités : célébrer Noël et le nouvel an à l’extérieur, chez des amis communs, ou faire la demande, sans présumer de sa satisfaction, que Mahantji nous accorde un privilège temporaire, le temps que se terminent les festivités. Une demande d’accommodement fut formulée par un théologien californien chargé de nous représenter. Au souvenir de Mahantji, un tel accommodement ne lui avait alors jamais été demandé. Surpris, il y donna tout de même suite en altérant temporairement le code de conduite d’Amar Bhawan, au plaisir des résidents. Un important groupe d’amis indiens (brahmanes et autres) se joignèrent à nous, quelques-uns d’entre eux s’autorisant pour l’occasion à déroger eux-mêmes au code brahmanique des lieux. Aux dires de Govinda Baba, un sadhu habitué des lieux, la Noël de l’an 2007 fut l'une des plus réussies de l’histoire d’Amar Bhawan. Elle aura certes permis que des individus athées, religieux, hindous et non hindous se rassemblent dans une aire confortable, une atmosphère conviviale, festive et un esprit de rapprochement exempt de tout sectarisme. Elle aura de plus été le lieu de conversations éclectiques et, en bout de ligne, réjouissantes, entourant entre autres la mode vestimentaire féminine orientale et occidentale...

Sunday, June 24, 2007

Vive le Québec libéré du… Général ?!

Soulignons, à l’occasion de la fête nationale du Québec, que l’esprit cosmopolite ne condamne pas l'élan patriotique; il le fait en revanche plus critique. Les interventions contrastées du Général Charles de Gaulle en Algérie (1958) et au Québec (1967) donnent ici matière à réflexion.


En Algérie, en 1958, neuf millions d’Algériens d’origines autres que française étaient placés sous la tutelle d’un million de Français et d’Algériens de descendance française. Alors que se consolidaient les courants indépendantistes au sein de la colonie (où tous les groupes n’avaient pas les mêmes droits), c’est à l’intervention du Général de Gaulle que les forces colonialistes ont fait appel avec l’objectif premier de mâter la révolte émergente. A l’amorce de la réaction française, le Général soutint entre autres ceci :

Le 4 juin, au Forum d’Alger :

« Bien ! De tout cela je prends acte, au nom de la France ! Et je déclare qu’à partir d’aujourd’hui la France considère que dans toute l’Algérie il n’y a qu’une seule catégorie d’habitants. Il n’y a que des Français à part entière. Des Français à part entière avec les mêmes droits et les mêmes devoirs… »

Le 6 juin, à Oran :

« L'Algérie est une terre française, organiquement, aujourd'hui et pour toujours »

et à Mostaganem :

« Il est parti de cette terre magnifique d'Algérie un mouvement exemplaire de rénovation et de fraternité. Il s'est levé de cette terre éprouvée et meurtrie un souffle admirable qui, par-dessus la mer, est venu passer sur la France entière pour lui rappeler quelle était sa vocation... C'est d'abord à cause de vous qu'elle m'a mandaté... Mais, à ce que vous avez fait pour elle, elle doit répondre en faisant ici ce qui est son devoir, c'est-à-dire considérer qu'elle n'a, d'un bout à l'autre de l'Algérie, dans toutes les catégories, dans toutes les communautés qui peuplent cette terre, qu'une seule espèce d'enfants. Il n'y a plus ici, je le proclame en son nom et je vous en donne ma parole, que des Français à part entière, des compatriotes, des frères qui marcheront désormais dans la vie en se tenant par la main ! (…) Mostaganem, merci. Merci du fond du cœur, le cœur d'un homme qui sait qu'il porte une des plus lourdes responsabilités de l'histoire... Vive Mostaganem ! Vive l'Algérie française! Vive la République! Vive la France! »

L’Algérie libérée du Général devra attendre. Car ce dernier finalement revint sur ses positions. Il s’agissait sans doute d’une expression adroite de nationalisme français. Ce dernier se manifestait, en apparence à tout le moins, à l’encontre de l’autonomie de la colonie d’Afrique. Les Québécois auraient-ils semblablement eu à combattre ce premier réflexe gaulliste, eussent-ils rejoint l'ancien empire ? Ce type de question – à toutes fins pratiques inutile n'intéresse seulement que les historiens, mais il jette en oblique un peu de lumière sur le double discours de celui qui, péremptoirement, prétendait définir l’emprisonnement des Québécois en 1967. Joyeuses célébrations!

Sunday, June 03, 2007

Les rêves d’Akbar, le tisserand indien

Je visitai récemment le petit village indien de Newada, dans le district de Varanasi, en Inde. Le projet de sophistiquer les règles de ‘l’étiquetage social’ des tapis indiens devait me conduire dans cette région voisine du Gange. J'avais pour but d'examiner ce qu'était, aux yeux de villageois, une éducation idéale pour une future génération de tisserands indiens, dont les consommateurs de l'Occident financent l'école. C’est un soir, depuis la hutte où il m’invitait à prendre le thé – un ‘tchai’ agréablement épicé à la cardamome – qu’un vieux tisserand, Akbar, me dévoila un truc du métier qu’il partage avec sa communauté. Son tapis en voie de finition, monté sur un métier traditionnel vertical, dans la pièce centrale de la hutte d’argile, se dressait déjà comme une œuvre fière parmi les chandelles.






Akbar est père de six garço
ns et grand-père d’une douzaine d’autres, tous plus ou moins dépendants du tissage de tapis haut de gamme pour s’offrir quotidiennement le ‘tchapati’ dont ils ont besoin, le pain familial. Ses petits-enfants se rendent chaque jour à l’école du coin, des murs où se rencontrent des enseignants aussi distants qu’autoritaires et des élèves tantôt amusés, tantôt apeurés. Le cas est typique, mais il n’est pas sans tracasser Akbar qui voit sa progéniture envisager des études au-delà de l’étape élémentaire, alors qu’elle maîtrise déjà quelques mots d’anglais et qu’un voisin, envié, se sert d’un téléphone portable.

Qu’est-ce qu’une éducation idéale, selon vous ? lui ai-je demandé, violant la syntaxe urdu que le vieil homme enseignait, à mi-temps, dans une Madrasa qui n’est plus une véritable Madrasa (ne suit-elle pas religieusement le syllabus suggéré par l’Etat ?) Ma question eut tout l’air de l’embarrasser. Il baissa la tête, saisit la théière encore chaude, ajouta une larme de tchai à ma tasse, pour enfin fixer son regard sur le mien et sur toute ma personne. Qu’enseigne l’école à vos petits-enfants ? ajoutai-je, dissimulant mon propre embarras. ‘Mere bachhe waha keval swapne dekhna sikh rahe hain !’ (Mes enfants y apprennent à fantasmer !) lança-t-il en dressant un bras gracile.

Akbar est persuadé que ses petits-enfants auraient du mal à intégrer le marché du travail de la ville. On ne les prendra pas au sérieux et on se moquera de leur anglais, insiste-t-il. Les nombreux gradués universitaires sous-employés qui gravitent autour des maisonnettes indiennes sont pour lui un signe manifeste du danger qui guette sa famille grandissante. Désillusionnés, ils déambulent, de New Delhi à Mumbai, autour de cocons familiaux troublés par quelques fausses promesses de la modernité. Akbar craint avant tout que le métier de tisserand ne soit pas même considéré comme une option valable dans les yeux des élèves qui savent quelques choses de la vie de Howard Hughes ou, plus près d’eux, de la famille Tata. ‘Je vais les perdre’…

Faudrait-il donc éviter de rêver d’un certain futur pour soi?

La solution d’Akbar tient à d’autres rêves. Ce sont les rêves de l’artisan libre. L’artisan qui pour survivre à la monotonie du tissage parvient à s’échapper en pensées. Le monde semble avoir déjà défilé dans les yeux du grand-père : ‘Un bon tisserand doit maîtriser l’art de méditer sur toute chose’. Le ton s’alourdissait sur ces trois derniers mots. Je me mis à l’imaginer répéter heure après heure, semaine après semaine, des millions de gestes identiques sans fautes, avec l’hypothèse que ce mouvement – pas toujours mécanique puisqu’il faut bien changer la couleur du fil ici et là – pourrait entraver l’esprit du tisserand, aussi aventureux qu’il soit. Ce serait ignorer peut-être les forces les plus élémentaires de la liberté d’esprit, de la vie intérieure ? La versatilité du geste – jamais! ne saura égaler celle de la pensée, précisa Akbar, presque rassurant. Il a fait le choix de ses rêves. Peut-être a-t-il fait le bon. Mais la modernité, dans son giron, conduira-t-elle ces petits-enfants à choisir entre le rêve douloureux et le rêve oublieux ?

Ou l’union des deux ?

Ou autre chose….

Je quittai la hutte d’Akbar en le remerciant, pensif. Il se tenait souriant près de l’unique porte de sa demeure. Celle-ci sera bientôt menacée par la mousson. Par chance, son fils Salman lui construira une toute nouvelle maison de briques au cours de l’année. Salman vend à Mumbai des photographies de villageois. ‘Il a eu beaucoup de chance, celui-là’, conclut le vieil homme, un bras donné au ciel étoilé. Sur ce je lui souhaitai de beaux rêves.




Monday, March 26, 2007

L'Assemblée mondiale des nations autodéterminées (AMNA)


Dans un esprit plus cosmopolitain, j’entrevois pour le Québec un rôle significatif dans la conduite future des nations minorisées qui depuis longtemps ont flirté, non sans obstacles, avec l’idée de ‘gagner’ à la mode ancienne des luttes d’affirmation nationale (e.g., les nations occupant la Catalogne, le Pays Basque, le Kashmire, l'Ecosse et le Tamil Nadu, entre autres candidates potentielles). Pour la première fois en Occident, un peuple minoritaire saurait-il, officiellement mais conditionnellement, renoncer à redéfinir la carte géopolitique, en considération des attentes aussi légitimes d’une nation majoritaire assagie, non violemment oppressive par devers ses minorités? Dans un nouvel esprit mondial, les effets multiples de la division territoriale, politique et symbolique d’une nation majoritaire pacifique, sur cette même nation, sauraient-ils être étudiés avec autant de sérieux que les ressorts de cette division ? Il s’agirait en définitive de rompre avec la dialectique ancienne et d’insuffler une pensée plus généreuse dans la gestion des affaires internationales, en maintenant ferme le gouvernail de la paix dans la mise en valeur des différences culturelles. René Levesque avait-il envisagé tous les moyens pacifiques d’affirmation politique avant de déclarer – je le cite approximativement – que ‘le Québec se passerait du reste du Canada plus aisément que celui-ci ne se passerait du Québec’. Sans grands doutes avait-il raison, pour des motifs non économiques, mais cette pensée de lui s’articule mal avec le nouvel esprit dont le Québec pourrait colorer l’ordre international.

Pourrait-on ainsi envisager l’établissement d’un Parlement mondial - réunissant des représentants du Québec, de la Catalogne, du Pays Basque, du Kashmire, des Premières Nations, de l’Ecosse, entre autres nations - avec la promotion et la reconnaissance pacifique de la diversité culturelle au premier ordre du jour. Des politiques d’éducation, d’immigration et de recherches comparées, des programmes de promotion et d’échanges culturels, des salons littéraires, des forums internationaux de discussion, seraient au nombre des plans à envisager, dans un esprit de dialogue avec les instances internationales existantes.

Ce Parlement de nations minoritaires (faudrait-il sans doute lui donner un nom plus convenable - ‘l'Assemblée mondiale des nations autodéterminées’ ?) disposerait d’une base permanente ou plurielle et rotative, au choix de représentants réunis en conseil constitutionnel. Sa composition ainsi que les règles de son fonctionnement régulier et exceptionnel seraient déterminées à la lumière de principes généraux reconnus au sein d’un texte fondateur original. Son établissement dépendra de la volonté politique exprimée via une première communauté de partis avisés. Ceux du Québec en seront-ils les pionniers ?

Ce Parlement indépendant répondrait non seulement à des besoins légitimes de sauvegardes culturelles, mais offrirait par ailleurs aux autres nations une leçon de sagesse que l’Histoire cette fois aurait du mal à ignorer. A Katmandou, Népal, où ce projet parlementaire suscite l’intérêt de politiciens tibétains en exil, victimes de l’oppression gouvernementale chinoise, l’on peut mieux apprécier la portée du succès québécois. De même qu’en Inde, où l'on reconnaît dix-huit (18) langues officielles. Unies, les nations minoritaires exerceraient en outre plus solidement leurs pouvoirs locaux.

L’avocat du diable n’aura pas tort de souligner que la réalisation de ce projet requiert la participation d’autres nations sur lesquelles le Québec n’exerce aucun contrôle. Il ajoutera également que des Etats indépendants indirectement intéressés, comme le Canada, ne conviendraient pas de toutes les mesures de soutien idéales désirées par un Québec-leader (dans un scénario plutôt optimiste) ou poseraient possiblement des obstacles au projet parlementaire (dans l’alternative). Il faut en réponse préciser que l’influence du Québec, dans l’établissement d’un parlement mondial, sera proportionnelle à la qualité de son projet et à la conviction qui l’animera, toutes mesures considérées. L’accord ou le désaccord d’Ottawa, explicite ou implicite, vis-à-vis de cette création internationale, se poserait d’une manière exemplairement décisive. Un désaccord, ouvert ou couvert, serait le signe d’une véritable oppression à l’endroit d’une nation minoritaire qui ne chercherait qu’à sauvegarder pacifiquement, sur la scène internationale, sa différence dans le respect de la construction identitaire canadienne. Un signe d’accord serait plus sérieusement envisageable si l’on doit compter sur la légendaire ‘flexibilité’ des politiques anglo-saxonnes. On ne doit pas en douter : un Canada obstructif ne ferait qu'encourager un recours complémentaire à l’ancien réflexe, c’est-à-dire la quête plus traditionnelle de l'affirmation politique québécoise. Ce qu’on appelle la bonne foi, dans les relations canado-québécoises, en est aussi l’enjeu.

Dans l’édition du journal Le Devoir du 25 avril 2006, l’auteur Yves Beauchemin affirme que « [s]i la liberté d'un peuple n'était pas une condition fondamentale de son bonheur, est-ce que tant d'hommes et de femmes tout au long de l'histoire auraient combattu pour elle ? ». La question est centrale mais néanmoins suggestive : qui se targuerait aujourd’hui de connaître les limites de ce que pourrait être un Québec libre, dans le cœur d'un peuple valeureux ?

On célèbrera plus certainement, un beau jour d’hiver, la prose de Nelligan à Bilbao et la poésie de Valluvar à Barcelone, quand il y ‘farà fred’ – comme sur Gaspé… ou presque.